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le Blog des ombres d'une cyberwitch
1 décembre 2012

Sedna, lafemme qui vit sous la mer

Un jour, dans le Sud de l'île de Baffin, j'ai vu(l'auteur*) un mythe prendre forme. De jeunes enfants jouaient près d'une barrière de glace causée par la marée, pleine de fissures dangereuses et cachées. Leur grand-mère rampa avec beaucoup de soin à travers les chaos de glace et, cachée non loin, elle s'écria : « Oohhwee! Oohhweee! ». Les enfants revinrent à la course sur la terre ferme en disant que la déesse de la mer Taluliyuk les avait effrayés. Plus tard, la grand-mère déclarait : « Je leur ai parlé de la femme qui vit sous la mer. Maintenant, elle les tiendra loin des endroits dangereux ». La grand-mère faisait ici référence à la puissante déesse de la mer, muse de cette grande chanson de l'Arctique :

That woman down there beneath the sea,

Cette femme là-bas, sous la mer, Tous les phoques s'empresse-t-elle de cacher.

Ces chasseurs qui dansent sur des airs,

Ne peuvent y remédier,

Ne peuvent y remédier.

Dans le monde des esprits

Je m'enfuis

Là où l'humain n'est établi.

Y remédier je le puis,

Y remédier je le puis.

La déesse de la mer porte des noms divers selon les régions, mais son mythe est l'un des plus répandus. Selon certains, un jeune et bel étranger entra un jour dans l'IGLOO d'une famille pendant un violent blizzard. Il portait un collier orné de deux grosses canines. On l'invita à dormir dans le lit avec toute la famille. Au réveil, le jeune homme avait disparu. Ne voyant que des traces d'animal au dehors, le père déclara : « On nous a trompés. Ce devait être mon chien de tête déguisé en homme ». Quand sa fille se trouva enceinte, le père eut honte de l'être qu'elle pourrait mettre au monde. Il la fit se coucher à l'arrière de son kayak et l'emmena dans une petite île où il l'abandonna. En secret, le chien de tête nagea jusqu'à la fille pour lui apporter de tendres morceaux de viande qui lui permirent de survivre et de donner naissance à six enfants. Trois avaient les traits des Inuits et trois autres, de grandes oreilles et un nez en forme de museau. La jeune mère ne savait pas construire un kayak. Elle confectionna donc un grand chausson à l'aide de peaux de phoque cousues ensemble et y plaça les trois enfants étranges qu'elle poussa vers le sud en criant : 'Sarutiktapsinik sanavagumarkpusi' (Vous saurez fabriquer des armes.). Selon certains Inuits, tous les Blancs et tous les Indiens descendent de ces trois enfants-chiens, et c'est là leur seul lien de parenté avec les Inuits.

Dans la seconde partie du récit, racontée d'habitude la nuit suivante, le père part dans un grand canot de peau appelé UMIAK chercher sa fille dans l'île. Sur le chemin du retour, une tempête s'élève et l'équipage, craignant de voir chavirer le canot surchargé, décide de jeter la fille par-dessus bord. Celle-ci essaie de se hisser à nouveau dans le bateau, mais son père lui coupe les doigts qui se transforment en phoques. Elle essaie encore, et il lui tranche les mains qui se transforment en morses. Elle fait une dernière tentative et son père lui coupe les avant-bras qui deviennent les baleines des océans. Puis, sombrant dans les profondeurs, elle devient Sedna, ou Taluliyuk, puissante déesse mi-femme mi-poisson qui règne sur la faune marine et à qui s'adressent maintes chansons. Au début des saisons, les Inuits rejettent à l'eau des morceaux du foie du premier mammifère marin tué, implorant Sedna de libérer ses hordes afin d'aider les chasseurs à nourrir leurs familles.

Beaucoup d'anthropologues s'entendent pour dire que, bien que de nombreuses ethnies souhaitent conserver leur histoire, elles préfèrent la fixer sous forme de mythes ou de légendes, peut-être parce qu'elles forment des sociétés aux liens serrés où chacun connaît bien son voisin. Jusqu'à une époque récente, les Inuits n'avaient pas besoin de nom de famille. Le recours aux mythes laisse aussi entendre qu'il aurait été socialement inacceptable et dangereux de raconter le vol d'une femme ou une querelle au sein d'une tribu dégénérant en massacre. En revanche, lorsque l'ennemi est transformé en animal mythique et les membres de la famille en héros, le récit peut être colporté en toute sécurité dans la tribu pendant des siècles.

Il se peut que des outils et des objets d'art anciens enfouis dans le pergélisol depuis des siècles attendent qu'on les découvre intacts, mais les légendes et les mythes, de même que les chants et les danses qui font partie intégrante de la culture inuite, représentent un trésor intellectuel qui disparaîtra irrémédiablement si on ne s'efforce pas par tous les moyens d'enregistrer, avant qu'ils ne disparaissent, ces mythes et ces légendes inuites qui sont un volet du patrimoine canadien d'une valeur inestimable. Cette tâche autrefois exécutée par les explorateurs et les anthropologues est depuis peu reprise par les Inuits, maintenant soucieux de conserver leurs traditions.

« My Mother's Story »
« My Mother's Story »
Oeuvre de Solomon Karpik, 1987 (avec la permission du ministère des Affaires indiennes et du Nord/PAN 83PR87 29).

Auteur JAMES HOUSTON

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